Mylord restera ici à discuter avec moi sur les différentes sortes de vins,
n'est-ce pas, Mylord ?
Mylord fit un signe de tête, tendit son verre, et son compagnon le remplit
jusqu'au bord d'un vin rouge pétillant comme du Saint-Péray et pur comme
du rubis.
- C'est de l'Ingelheim, me dit l'Anglais, presque un compatriote à vous.
Goûtez-y...
- Je ne connais pas ce nom-là parmi nos crus de France, lui répondis-je.
- C'est vrai, car Ingelheim est l'ancienne résidence de Charlemagne. Or,
le vieil empereur, qui estimait ce qu'il y avait de bon en France, avait
apprécié un fort joli vin d'Orléans ; il en fit venir des plans, qu'il
planta lui-même. Ce sont les descendants de ces plants enfouis par
Charlemagne que vous dégustez aujourd'hui. C'est le vin favori de Mylord.
S'il faut en croire la tradition, ce fut à Ingelheim que Roland, remontant
le Rhin pour répondre à l'appel de son oncle, prêt à partir pour combattre
les Sarrasins d'Espagne, fut reçu par le vieux comte Raymond. Celui-ci,
apprenant le nom de l'illustre paladin qu'il avait l'honneur de recevoir
chez lui, voulut qu'il fût servi à table par sa fille, la belle Hildegonde.
Peu importait à Roland par qui il serait servi, pourvu que le dîner fût
copieux et le vin bon. Il tendit donc son verre : alors une porte
s'ouvrit, et une belle jeune fille entra, un hanap à la main, et s'avança
vers le chevalier. Mais, à moitié chemin, les regards d'Hildegonde et de
Roland se rencontrèrent, et, chose étrange, tous deux commencèrent à
trembler de telle façon que moitié du vin tomba sur les dalles, tant par
la faute du convive que par celle de l'échanson...
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