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masochiste !"
Un nouveau Paradoxe français ?
"Le French Paradox a été oublié. La filière vin est masochiste !"
Le docteur Michel de Lorgeril se décrit comme "l’un des seuls survivants
encore en mesure de témoigner du French Paradox" qui, rappelons-le, a fait
exploser la consommation de vin, notamment français, aux Etats-Unis dans les
années 1990. Au moment où l’ONU se penche sur une résolution qui pourrait
dénormaliser la consommation d’alcool dans le monde, il publie un nouveau
livre qui cherche à redonner "toute sa place à la science dans un débat
passionnel". Alors que "face aux attaques, le monde de la viticulture est
d'une incroyable passivité. Cela ne bouge pas, cela ne se défend pas, cela
subit."
Le docteur Michel de Lorgeril est catégorique : « Il est faux de prétendre
que l’alcool, y compris le vin, augmente le risque de cancer dès le premier
verre. L’argument est biologiquement non plausible » -
Votre livre est la synthèse de 50 ans de travail. Pourquoi avez-vous
ressenti le besoin de vous exprimer maintenant ?
Michel de Lorgeril : La question de l'alcool et des vins est complètement
secondaire dans mon parcours médical et scientifique. Je travaille sur la
prévention de façon générale et en particulier avec la nutrition, et
évidemment le vin et l'alcool sont des substances nutritionnelles absolument
fondamentales dans nos sociétés. Mais ce n’est pas moi qui ai ressenti le
besoin de m'exprimer, c'est mon éditeur. Ce qui l’étonnait, c'était
l'incroyable hostilité développée par les médias en général, avec des
corporations médicales derrière, et l'absence totale de réaction du monde du
vin. Face à ces attaques multiples et stupides, cela ne réagissaient pas,
d’où la demande de mon éditeur. Notre impression générale, c'est que le
monde de la viticulture est d'une incroyable passivité. Cela ne bouge pas,
cela ne se défend pas, cela subit, et je ne comprends franchement pas cette
passivité. Mon livre montre qu’il y a des données scientifiques fortes,
imparables, pour se défendre. Personnellement, je suis fasciné par le fait
que le French Paradox a été complètement oublié, jamais cité, jamais
explicité. Je ne suis absolument pas contacté. La filière est masochiste !
L’un des arguments que l’on entend contre le French Paradox, c’est que
depuis les années 80, notre mode de vie a changé et cela pourrait remettre
en cause vos conclusions…
Mais non, c'est exactement le contraire. C'est l'argument actuel des
addictologues, des cancérologues etc qui disent "Ah oui, le mythe du petit
verre de rouge qui protège la santé, c'est fini, le French Paradox
n’existait pas". Le livre montre exactement le contraire. Le paradoxe
d’aujourd’hui y est étayé par de nombreux graphiques et données
scientifiques – je ne les ai pas inventés ! Ces données sont dans la
littérature scientifique et médicale. Non seulement le French Paradox était
quelque chose de très concret et bien démontré, mais il est toujours là ! La
mortalité cardiovasculaire en France reste la plus basse de tous les pays
occidentaux. J’évoque même le quatuor paradoxal aujourd’hui : il n'est pas
exclusivement français, il y a aussi les Suisses, les Belges et les
Luxembourgeois qui ont une culture gastronomique assez comparable du mode
français. Ce ne sont pas des Méditerranéens, donc il y a quelque chose de
spécial, non seulement qui a existé mais qui persiste de façon
extraordinaire. Les chiffres crèvent les yeux.
Comment l’expliquer alors que la consommation de vin a beaucoup baissé ces
dernières années ?
La consommation de vin dans les années 1950 à 1980 en France – je simplifie
– concernait souvent des vins de mauvaise qualité, en raison du fait que le
vin était utilisé comme un outil de travail, beaucoup plus qu'ailleurs. Les
mineurs, les ouvriers dans la métallurgie, sur les bateaux de pêche,
utilisaient le vin plus que n'importe quel autre alcool parce qu’il était
bon marché et que la concentration d'alcool était faible, autour des 10
degrés. Ils le consommaient en semaine pour s’hydrater, pour l’apport en
énergie et comme euphorisant devant la pénibilité de leur travail, mais ils
avaient aussi besoin de leur dose le weekend. Ils étaient addicts. Donc les
statistiques anciennes en France concernant le vin et la santé sont non
seulement de mauvaise qualité mais aussi ambivalentes : on a pu décrire le
French Paradox et l’explication apportée, par nos soins, concernant la
protection cardiovasculaire, mais dans le même temps nous avions des
pathologies (cirrhose, démences, cancers) qui étaient lies à des
consommations déraisonnables des boissons alcoolisées et pas seulement du
vin. Aujourd’hui, le monde a changé mais d'une manière telle que la
persistance du Paradoxe français s’est imposé, sans avoir les effets nocifs,
sans avoir la toxicité, mais avec toujours une même explication concernant
la protection cardiovasculaire. Le livre explique bien cette modification du
mode de vie et des conditions d’existence : il y a en moyenne beaucoup moins
de consommation excessive ou déraisonnable et beaucoup plus de gastronomes
qui apprécient les vins de qualité. C’est cette modification des mœurs qui
expliquent à la fois la baisse de la consommation et la persistance du
Paradoxe français.
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"Trop souvent, on réduit le vin à une molécule d'alcool. Trop sommairement,
on l'accuse d'être une drogue."
Pourquoi alors une telle négation des effets du French Paradox ?
Le French Paradox était initialement un concept de statisticiens
britanniques et américains qui constataient une faible mortalité
cardiovasculaire en France par rapport au Royaume-Uni et aux États-Unis
notamment. Comme ils n’avaient pas d'explications, ils l’ont appelé le «
French Paradox » ou paradoxe français. Ce que nous avons apporté [NDLR :
avec Serge Renaud] c'est une explication à ces données épidémiologiques.
Pourquoi aujourd'hui y a-t-il une telle attaque contre cette idée que
l'alcool, et encore mieux le vin, pourrait protéger la santé ? C'est
simplement parce que ça va à l'encontre des théories conventionnelles
concernant les maladies cardiovasculaires. Avec l’alcool, il y a une
augmentation du cholestérol mais une diminution du risque cardiovasculaire,
alors que la médecine conventionnelle estime que le cholestérol est toujours
mauvais pour la santé. C'est évident que, lorsqu’on consomme de l'alcool de
façon modérée et raisonnable, cela protège. Le Polonais qui boit sa vodka
pour s'enivrer n'a rien à voir avec un Méditerranéen ou un Français qui boit
un verre de vin avec un bon repas.
L'industrie pharmaceutique y est-elle pour quelque chose dans cette négation
?
Il est clair que pour les sociétés savantes, aussi bien le cardiologue que
le cancérologue ou l’addictologue, l’idée que la consommation modérée
d'alcool puisse être bénéfique est inacceptable. Or, ces sociétés savantes
sont complètement dépendantes de l'industrie pharmaceutique. C'est
l'industrie des médicaments anti-cholestérol, consommés par des centaines de
millions d'Européens et de gens partout dans le monde. Le Paradoxe français
va à l’encontre des intérêts de l'industrie pharmaceutique, c’est certain.
Mais à mon sens, pour le moment, elle ne s’est pas démasquée. Je ne sais pas
si derrière toutes ces campagnes il y a réellement la main du business
pharmaceutique. Je vois plutôt des cancérologues et des addictologues qui
sont très actifs mais qui surtout, n’étant pas scientifiques, ne comprennent
pas cette problématique complexe. Mais il faut pourtant leur répondre, la
communauté viticole devrait bouger. Personnellement, je n'ai aucun conflit
d'intérêt, mais je suis vraiment très étonné que cela ne réagisse pas.
Les attaques sont passées des maladies cardiovasculaires aux cancers.
Pourquoi cette nouvelle orientation selon vous ?
Parce que c'est plus facile. La relation entre la consommation d'alcool et
les maladies cardiovasculaires avait été plus ou moins résolue. On a montré
l’effet protecteur de l'éthanol même, qui est un antiplaquettaire, un peu
comme l'aspirine pour les maladies cardiovasculaires. Il y a aussi l'effet
préconditionnant du myocarde, un concept fondamental mais totalement inconnu
des conventionnels, y compris des médecins. Il est clair qu’il y a eu une
époque où les gens consommaient de l'alcool de manière irrationnelle et les
données statistiques des années 1950 à 1980 sont potentiellement suggestives
pour un observateur simpliste. Bien sûr, si vous buvez beaucoup et de façon
irrationnelle (le binge drinking par exemple), c’est toxique. Si vous
ressortez les statistiques des années 1970, vous pouvez faire croire à des
lecteurs ou auditeurs naïfs qu’au premier gramme d'alcool vous augmentez
votre risque de cancer. Les données épidémiologiques concernant les cancers
sont faciles à manipuler mais ne peuvent tromper un vrai scientifique. Si on
regarde le tabac et les cancers bronchiques, il a fallu presque 50 ans pour
que ce soit accepté par la communauté médicale, puisque les premières
données concernant la relation entre le tabac et les cancers bronchiques
sont venues des pathologistes allemands après la Première Guerre mondiale.
C’est assez facile de créer de la confusion autour de l’alcool. Pour
expliquer les choses simplement : pour créer un cancer et pour qu'il
devienne cliniquement décelable, il faut plusieurs décennies. Si vous êtes
un jeune adulte et que vous consommez beaucoup d'alcool et de manière
déraisonnable pendant 10, 20 ou 30 ans, vous créez un cancer, notamment des
voies aérodigestives supérieures, surtout si en même temps vous fumez ou que
vous inhalez des pesticides etc. Le cancer n’apparaîtra que 30 ou 40 ans
plus tard, au moment où votre consommation est devenue plus raisonnable. Le
défaut de l’épidémiologie d’observation, c’est qu’au moment où une personne
développe un cancer, on constate que la consommation est basse. Donc on en
déduit que c’est avec cette consommation basse qu’on développe un cancer,
alors que celui qui ne boit pas n’en a pas. D’où l’affirmation fausse que
dès le premier verre, ou dès le premier gramme d’éthanol, on développe un
cancer. Ce type d’affirmation est non plausible du point de vue biologique
et doit être rejeté.
Une partie des affirmations négatives autour du vin résulte-t-elle
d’amalgames faits avec d’autres boissons alcoolisées ?
C'est le message fondamental : les boissons alcoolisées ne sont pas toutes
les mêmes, les façons de les boire sont très différentes et ce ne sont pas
les mêmes buveurs. Ce sont trois points fondamentaux qu’il est urgent de
comprendre si on veut défendre le produit de son travail ou de son art. Le
buveur de vin boit en mangeant tandis que le buveur de bière est à jeun. Dit
autrement, le buveur de bière, de gin, de vodka ou de whisky recherche
l’ébriété (quel que soit le flacon) et boit à jeun. En conséquence, les
enzymes du foie qui métabolise l’éthanol sont dépassés et l’éthanol passe
dans le sang et rejoint le cerveau. C’est la fête ! Le buveur de vin dilue
son éthanol dans ses aliments ce qui retarde l’absorption intestinale et
laisse le temps au foie de métaboliser, ou transformer, l’éthanol en
calories. D’autre part le buveur de vin, outre qu’il peut être un
gastronome, a un mode de vie et des habitudes alimentaires spécifiques qu’il
soit méditerranéen ou pas.
Quel est le rôle des polyphénols ?
C'est effectivement là que les polyphénols du vin sont extrêmement
importants : le buveur de vin n'a pas le même métabolisme du fait de ses
goûts, de ses habitudes alimentaires, il n’a pas du tout le même microbiote
que le buveur de bière, par exemple. Le métabolisme des polyphénols dépend
du microbiote intestinal, qui lui-même dépend des habitudes alimentaires,
d’où l’importance du régime méditerranéen. Les Français, les Suisses et les
Belges ont cette particularité probablement de métaboliser leurs polyphénols
du vin d’une manière particulière du fait de leur microbiote. La plupart des
études qui condamnent l’alcool mettent tout dans le même paquet : on
rapporte tout au gramme d’éthanol consommé par jour ou par semaine, et on
néglige complètement l'importance de la boisson telle qu'elle est bue et
encore plus la spécificité du buveur ou de la buveuse. Le buveur de vodka
polonais ou russe et le buveur de vin italien ou français sont des buveurs
complètement différents, c'est incomparable. Autre problème, c'est qu'il n'y
a pas de discussion possible entre les addictologues qui accusent l'alcool
dès le premier gramme consommé et puis des scientifiques comme moi qui
faisons notre travail, sans qu’on ait le moindre intérêt à défendre le vin.
On voit même que l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn condamne
l’alcool et le vin sans aucun argument scientifique. Normalement quand on
est des scientifiques sérieux, on recherche le consensus avec des gens qui
ne sont pas d'accord avec vous. On ne s'insulte pas mutuellement.
Ce 25 septembre, l’ONU doit émettre une résolution sur l’alcool. Quel est le
message que vous feriez passer sur la consommation de vin ?
Le message fondamental, c’est qu’il faut faire la différence entre le vin et
les autres boissons alcoolisées. On ne peut pas les mettre tous dans le même
sac, c’est absurde. Le vin est un produit mais aussi un art, et ce sont des
artistes qui le font. Cela n’a rien à voir avec un industriel de la bière,
du gin ou de la vodka. Les producteurs de vins doivent se différencier. Le
vin est un produit gastronomique, c'est du plaisir. On ne cherche pas à
s'enivrer. C'est une question de civilisation. L’employé de bureau qui sort
en fin de semaine pour s’enivrer après le travail n'a rien à voir avec le
pêcheur sicilien ou l'agriculteur sarde ou le Français provençal qui ouvre
sa bouteille au moment du repas. Or, au niveau politique, on ne voit que les
excès, les dégâts de la consommation irrationnelle.
Coordonnées :
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